J’écoute actuellement ta Symphonie en Do Majeur dans une épouvantable version italienne -la seule qui existe sur Spotify-. Les musiciens n’ont pas dû répéter bien longtemps, c’est faux et peu engagé. Les archets sont trop lents. Les dynamiques plates comme des planches à repasser.
Exposition. Ça scande brillamment.
Les producteurs se sont probablement rendu compte que des amateurs de curiosités viendraient jeter une oreille distraite pour entendre quelques mesures de ta main, maudit souilleur.
Et que quelques mesures pour se laisser confirmer les théories que plus personne ne conteste suffiraient pour faire monter les compteurs de vues. Malin. Davantage un calcul commercial qu’un coup de cœur sincère, on peut s’en douter.
Pourtant, c’est évident. A entendre ces articulations écrasées, ces ornements flétris, les musiciens eux-mêmes ne s’appliquent pas. Comme s’ils craignaient de découvrir de l’intérêt -qui sait, de la séduction ? – dans les notes qu’ils jouent. Non, surtout pas ! L’ordre doit être respecté : les mauvais doivent rester à leur place. Leur raison d’être. Ils justifient l’éclat des Génies. Et donnent de l’espoir aux gens ordinaires. Si on ne peut même plus faire confiance aux fameux mauvais de l’Histoire de la Musique pour resplendir de médiocrité, alors, que sommes-nous. Des sous-hommes. L’angoisse surgit. Les valeurs s’estompent. On n’est plus sûr de rien.
Reprise de l’exposition. Pour vérifier.
En appuyant sur « play », je sais pas ce qui m’a pris. J’ai eu un moment de tendresse, de charité. Ces temps-ci, ça m’arrive.
La semaine dernière par exemple, j’ai ramassé un vieux paquet de chips dans un buisson, au parc. Je me suis esquinté le pantalon et j’en ai eu les mains toutes grasses mais je ne regrette pas ; il était quand même mieux dans la poubelle qu’au milieu des fleurs sauvages si jolies. Peut-être que c’est un peu du même ordre. Ou alors, comme tous les autres listeners de ta Symphonie, c’était juste de la curiosité malsaine…Ça m’arrive aussi d’en avoir.
Toujours est-il que c’est pas terrible, mon vieux. Ta symphonie. Elle fait pâle figure. Malgré les scandaleux vélonistes italiens, c’est maladroit. Disgracieux. Creux comme un pot de chambre.
On pourrait toujours trouver — je m’y efforce — que dans un paysage harmonique et mélodique, disons, si minimaliste, on en vient à prendre du plaisir avec de petites choses simples qui viennent égayer le morne horizon : un pizzicato, un trille semblent dans ce contexte des trouvailles fantastiques. Une économie de l’écoute en quelques sortes.
Mais quand même, c’est pas terrible.
Le premier mouvement touche à sa fin. Péroraison.
Je reconnais qu’il y a peu de chances que je la réécoute jamais ta symphonie — plutôt m’engager aux Amis de la Terre —, mais je tiens à t’assurer : moi, davantage que quiconque dans le monde et à travers les siècles, mon vieux Frankie je te comprends. Je te comprends.
Le vide maladroit, mon pote, c’est ma langue maternelle. En toute modestie.
Alors oui c’est vrai que cette histoire de Requiem c’est pas très clair. On ne sait pas qui ou quoi, si c’est toi tout seul mais probablement pas, si c’est toi beaucoup — et on a critiqué ce beaucoup, ce beaucoup raté (mais ces détails, ces « erreurs d’orchestrations », c’est pour les esthétistes) —, ou si c’est toi qu’un peu mais tu as dit beaucoup. Moi ça ne m’intéresse pas trop.
Ce que tu as fait tu l’as fait avec ton cœur. J’ai grandi au biberon avec ta version corrigée, mon vieux… Alors je m’en fous en vrai que toi ou un autre. Cette fin par exemple, elle me va très bien, de même que ces petites syncopes dans le Domine Jesu, on aurait tort de les retirer.
Et si tu as tenté de tirer la couverture céleste à toi, ma foi, ce n’est que justice.
Parce que l’important pour moi, alors que s’étirent les arpèges interminables du mouvement lent, c’est ce qu’on oublie tellement : les coups de bâtons. Dans le dos, sur la tête, dans les pieds. Des coups, tu en as reçu. Pendant des mois, pendant des siècles entiers. Et je pense : « Quel courage, quelle abnégation ». Des coups, l’Histoire n’en a que faire, elle les redistribue, généralement. Elle s’acharne, dans ton cas.
Pour commencer, le prof apparemment, il t’aimait pas (moi non plus les profs ne m’aiment pas). “Un âne” ça se dit pas, ça se pense même pas d’un élève. Honte à lui. Honte au professeur qui juge ses élèves. Toi tu étais appliqué, un as de la concentration et de l’intérêt. Tu apprenais à ton tempo. Adagio. (Qui sait aujourd’hui qu’Adagio signifiait « à l’aise » ?) Un peu réservé, poudré comme il faut, aimable et poli. Tout le monde n’a pas eu Papa sous la main pour le biberonner au contrepoint. Toi, tu étais seul. (Tu étais seul, n’est-ce pas ?). Seul et appliqué, les notes bien alignées, les unes sous les autres, et en bas de page parfois une petite tâche humide qui faisait pleurer l’encre.
Alors bien considérée, sous cette lumière-là, ta symphonie, mon âne adoré, c’est un chef-d’œuvre.
Nous approchons enfin de la double-barre, un final gaillard qui claironne son ultime cadence.
Frankie, console-toi (mais peut-être veux-je dire en réalité : console-moi).
Il y a un point qu’on ne peut pas te contester, à toi l’auteur de la Symphonie en Ut. Une gloire qu’aucun musicographiste ne pourra t’enlever.
Console-toi, tu as eu, toi aussi, ton grand moment, le 17 septembre 1803, à Vienne.
Ton point d’orgue en majesté. Sur ton lit, tu es mort.
Pendant quelques instants — et encore à l’approche de la mort, les instants sont élastiques —, tu étais au sommet de l’humanité. Debout, éclaireur. Tu as montré au futur le chemin vers la lumière. Tu as compris pendant ces quelques secondes — une éternité sur le seuil— le sens de l’existence. Tu as connu l’agonie qui n’appartient à personne d’autre et qui sépare si définitivement les hommes morts de nous-autres, petits vivants pleins d’arrogance, qui n’avons pas mis un seul pied dans le Bardo.
Et qui sait si au jeu du Bardo tu ne l’as pas surclassé, toi, le prof ?
Il a peut-être fini en homard et toi qui sait, tu as pris la voie du Bouddha.
***
Franz Xaver Süßmayr, né le 26 juillet 1766 à Schwanenstadt et mort le 17 septembre 1803 à Vienne, est un chef d’orchestre et compositeur autrichien.
Après de premières études musicales à Kremsmünster, il est l’élève de Salieri à Vienne en 1787, puis l’assistant de Mozart en 1791 pour lequel il écrit l’intégralité des récitatifs de la Clémence de Titus lors du voyage à Prague. On sait avec assez de certitude qu’il termina courant 1792 la dernière œuvre de Mozart, le Requiem, à la demande de Constance Mozart du fait que Franz Xaver Süßmayr savait imiter l’écriture (le tracé) de son maître et vraisemblablement pour payer les lourdes dettes du couple. Constance ayant dans un premier temps confié la partition à un ex élève de Mozart : Eybler, l’étendue du travail de Süßmayr sur le Requiem n’est pas encore totalement connue, puisque l’état d’avancement dans lequel on lui confia la partition est également incertaine (d’autant que d’autres compositeurs sont également intervenus sur la partition). Il se fait connaître à Vienne et à Prague comme compositeur. Il a aussi composé de la musique instrumentale et de la musique sacrée.
(Wikipédia)